Les chauves-souris n’y sont pour rien

L’épidémie de COVID-19 qui sévit actuellement partout dans le monde trouverait son origine dans un marché d’animaux sauvages de Wuhan, capitale de la province chinoise de Hubei. Une espèce de chiroptères (nom scientifique des chauves-souris) du genre Rhinolophus est particulièrement mise en cause. En effet, une étude parue dans la revue scientifique Nature se prononce en faveur d’une recombinaison entre un coronavirus propre à cette espèce de chauve-souris et un autre vraisemblablement hébergé par une espèce de pangolin. La transmission directe de la chauve-souris à l’humain est peu probable du fait de la structure génomique de son virus et aurait nécessité, comme c’est parfois le cas pour les zoonoses (maladies transmissibles entre animaux non-humains et humains), une espèce « passerelle ».

Pipistrelle pygmée, Pipistrellus pygmaeus (© Laurent Arthur)Pipistrelle de Kuhl, Pipistrellus kuhlii
(© Christian Maliverney)

Les chauves-souris souvent pointées du doigt

Considérées comme des « réservoirs à virus », les chauves-souris pâtissent d’une mauvaise réputation. Et pour cause, plusieurs épidémies virales, dont les infections aux SRAS, MERS et Ebola prennent leurs sources chez la chauve-souris ou partagent de grandes similitudes avec des virus qu’elles hébergent. Les chauves-souris ont en réalité une réponse immunitaire robuste qui les rend tolérantes à de nombreux virus et conduit ces derniers à adopter une stratégie de réplication plus rapide, se retrouvant alors plus aptes à infecter les mammifères dotés d’un système immunitaire moins réactif.

Une épidémie symptomatique d’une crise écologique

L’épidémie nous interroge sur notre rapport à la nature. En étendant ses activités aux dépens des espaces naturels comme les forêts, l’humain modifie ses contacts avec la faune sauvage et s’expose à davantage de pathogènes. Il en va de même pour la consommation d’animaux sauvages qui va de pair avec les marchés d’animaux vivants, augmentant alors le risque de transmission d’agents infectieux. L’humain est donc en grande partie responsable de ses contaminations par les animaux non-humains.

Ces contagions sont par ailleurs facilitées par la modification des écosystèmes engendrée par les activités anthropiques. En déforestant, en urbanisant, les animaux sauvages se retrouvent contraints à des espaces vitaux plus restreints (perte d’habitats), ce qui favorise les contacts entre individus et entre espèces (y compris entre animaux sauvages et animaux domestiques ou humains).

Pourtant, les mosaïques d’habitats contribuent au maintien de barrières naturelles entre espèces. Bien que de tels milieux soient synonymes d’une biodiversité plus riche, d’espèces plus abondantes et donc de pathogènes plus nombreux, ces derniers sont en fait répartis sur de nombreuses espèces et se propagent moins facilement d’un habitat à un autre et d’une espèce à une autre, ce qui limite le risque d’épidémie par effet de dilution. Au contraire, les actions engendrant la destruction de milieux naturels et le déclin de la biodiversité facilitent tout autant la multiplication des contacts entre espèces et accroissent le risque de contagion, y compris avec les humains.

Cette perte de biodiversité, combinée au contexte de mondialisation qui accentue considérablement le transport de marchandises (dont les animaux vivants) et de personnes, résulte en une propagation accélérée et étendue des pathogènes. Ainsi, le problème est véritablement d’ordre systémique… et les chauves-souris n’y sont pour rien !

Colonie de Murins à oreilles échancrées, Myotis emarginatus (© Alexandre Mari)

Chauve-souris, mon amour : renouer d’amitié avec les belles de nuit

Chauve-souris, mon amour, c’est le titre d’un film de Pauline Horovitz sur les soins apportés par le Muséum d’Histoire Naturelle de Bourges aux chauve-souris retrouvées blessées, en vue de leur réadaptation à la vie sauvage. C’est en tout cas le proverbe qui devrait dicter notre rapport à ces créatures nocturnes qui ne doivent aucunement nous effrayer et à qui nous n’avons aucune raison d’en vouloir. En effet, comme énoncé précédemment, la transmission directe du COVID-19 par une chauve-souris est très peu probable, d’autant plus que l’espèce identifiée comme étant à l’origine de la chaîne de transmission n’est présente que dans le Sud-Est asiatique. Par ailleurs, il est important de préciser qu’il n’existe dans le monde que trois espèces de chauves-souris hématophages (qui se nourrissent de sang), dites « chauves-souris vampires ». Ces chiroptères, situés exclusivement dans les régions tropicales de l’Amérique du Sud, se nourrissent, selon l’espèce, de sang d’oiseaux ou de mammifères, mais s’en prennent très rarement à l’humain.

Ainsi, les chauves-souris, y compris nos européennes (dont 34 espèces en France métropolitaine et 20 en Île-de-France), ne doivent en aucun cas être stigmatisées. Au contraire, elles ont tout intérêt à être préservées, si ce n’est pour leur valeur intrinsèque, pour leur rôle clé dans les écosystèmes et leur action de régulation des populations de moustiques qui sont les animaux tuant le plus d’êtres humains dans le monde via la transmission de maladie.

En savoir plus sur le film Chauve-souris, mon amour

Pourtant, les chauves-souris subissent un déclin multifactoriel. L’usage des pesticides, en empoisonnant leurs proies que constituent les insectes, réduit la disponibilité et l’accès à ces ressources alimentaires qui empoisonnent également à leur tour leurs prédateurs (phénomène de bioamplification). En outre, la perte d’habitats, tels que les granges ou les arbres à cavités, couplée à la fragmentation des habitats, causée par le développement d’infrastructures linéaires et plus généralement par la pollution lumineuse, réduit considérablement leurs niches écologiques. En particulier, les chauves-souris sont victimes d’une part des infrastructures routières qui, éclairées par des lampadaires ou phares de voiture, les repoussent et coupent alors les routes de vol (haies, cours d’eau) entre leur gîte et leur territoire de chasse, et d’autre part du trafic routier qui entraîne des collisions qui leurs sont fatales. Cela rappelle la nécessité de prendre en compte les continuités écologiques nocturnes (Trame noire) dans la planification urbaine, au même titre que la Trame vert et bleue.

En savoir plus sur la Trame noire

Un film de Tanguy Stoecklé, Une vie de Grand Rhinolophe, a été mis en ligne gratuitement. Il retrace le cycle de vie d’un Grand rhinolophe (Rhinolophus ferrumequinum) illustré par de belles scènes nocturnes. À regarder sans modération !

Affiche du film Une vie de Grand Rhinolophe de Tanguy Stoecklé

Informations complémentaires

La plaquette du Plan régional d’actions en faveur des chauves-souris (2018-2027) présente des informations synthétiques sur la biologie et l’écologie des chiroptères, ainsi que sur les menaces auxquelles ils sont exposés. Des informations plus développées sont également disponibles dans la Liste rouge régionale des chauves-souris d’Île-de-France.

Statuts de protection et états de conservation des chauves-souris présentes en Île-de-France (Plan régional d’actions en faveur des chauves-souris (2018-2027) – DRIEE îdF)

Références

Article publié dans The Conversation : Covid-19 : l’analyse des génomes révèlerait une origine double du virus
Étude parue dans Nature Medicine : The proximal origin of SARS-CoV-2

Rédigé par Dylan Cadiou, volontaire en Service Civique à l’ANCA

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